jeudi 12 juin 2014

Nouvelle critique média sur "The Rover"

"The Rover" avec Guy Pearce : un thriller fascinant dans les abysses de l'âme humaine

LE PLUS. Après "Animal Kingdom", David Michôd revient avec un nouveau thriller : "The Rover", un road-movie incarné par Guy Pearce et Robert Pattinson. Le contexte est différent mais l'univers reste le même : sombre, violent et tragique. Une sorte de western post-apocalyptique qui a largement séduit notre contributeur, Romain Faisant.

Révélé en 2010 par son film "Animal Kingdom", le réalisateur australien David Michôd frappe une nouvelle fois fort avec son dernier long métrage, "The Rover", qui a été présenté en compétition à Cannes cette année.

Il ne se défait pas d’un univers sombre et violent qu’il extrait néanmoins de la cellule familiale qu’il avait fait imploser dans son film précédent pour le répandre dans l'Outback australien "dix ans après la chute".

Que s’est-il passé ? Ce n’est pas le propos, seule importe la dérive en cours : celle de deux hommes que la route fait se rencontrer, là, dans le désert d’une humanité vivant recluse et isolée.

Une mise en scène impeccable et implacable

Éric a une obsession : retrouver sa voiture qu’on vient de lui dérober, la rencontre avec Rey, le frère d’un des criminels voleurs, lui apparaît comme le moyen de récupérer son bien. Mais Rey ne va pas lui révéler le point de chute des fuyards, il va l’y mener. Obligé de l’embarquer avec lui, Éric commence une traversée étrange, sanglante et désabusée, de jour comme de nuit vers ce qui semble être l’absurdité même.

Dans une mise en scène impeccable et implacable, David Michôd conduit son road-movie tel un thriller dans les abysses de l’âme humaine, là où plus rien ne compte sinon sa propre survie si tant est qu’on ait un but.

Car Éric (impassible Guy Pearce, déjà présent dans "Animal Kingdom") a un objectif ardent qui semble défier toute raison : récupérer sa voiture disparue dans l’immensité désertique, rien ne justifie a priori une telle débauche d’énergie et de rage pour traquer les hommes responsables du méfait, eux-mêmes en fuite après avoir fait un carnage. "Vous devez beaucoup y tenir à cette voiture. Qu’a-t-elle de spéciale ?", s’étonnera d’ailleurs une tenancière qu’il tente de faire parler et qu’il croise lors de son périple.

Un animal blessé qui se mue en fiévreux de la gâchette

Une chose est sûre : cette quête soudaine le sort de la torpeur qui était la sienne, jouant volontiers sur les contrastes et les décalages, le film instaure ce principe dès le début.

Affalé sur un comptoir de bar miteux et poussiéreux, dans un contre-jour à l’image de ce qu’il reste de sa vie, Éric ne voit pas dans la profondeur de champ les tonneaux que fait le véhicule des criminels en fuite. Image saisissante de l’apathie sur le point d’être annihilée. Ce contraste se répand dans tout le film par bribes : dans ce désert australien interlope se terrent des asiatiques, des aborigènes, une femme médecin, un bordel et des militaires désœuvrés.

Taciturne, Éric n’est pas dans l’interaction constructive avec ces personnages croisés, ils sont des moyens : arme, essence, soins. Il les quitte d’ailleurs généralement en les ayant froidement abattus.

Car l’abattage de l’humain dans ce monde qui a fait fi des lois n’émeut plus Éric même s’il assène qu’il "ne faut jamais oublier une vie qu’on a prise" en réponse à Rey (Robert Pattinson, qui confirme ses galons d’acteur important) qui vient de tuer quelqu’un.

Et c’est bien là le seul interlocuteur avec qui il va avoir un semblant d’échange, même s’il se sert de lui pour atteindre la planque des voleurs de sa voiture, quelque chose semble se nouer, dans la retenue et la froideur chez Éric, beaucoup plus perceptible chez Rey. Ce dernier, laissé mourant par ses complices dont son frère, trouve là une figure tutélaire dont les propos ne seront pas sans l’influencer.

D’abord soumis dans un rapport de force, Rey va prendre de l’assurance en cours de route : "C’est moi qui commande maintenant", osera-t-il, sachant qu’Éric ne peut retrouver les fuyards sans lui. De même, il prend les devants lors de l’achat de l’essence et des munitions. Quelque chose est en mouvement et Éric ne le perçoit pas d’emblée. Sa conversation nocturne avec son guide-prisonnier sur le néant divin et l’individualisme aura des répercussions violentes et tragiques que la poursuite va distiller. Celui qui était un animal blessé rampant se mue en fiévreux de la gâchette.

Entre paysages crépusculaires et arides

Les grands espaces de cette Australie-Méridionale se prêtent à une atmosphère westernienne mais où le voyage se fait en voiture. De même, cette confrontation en latence entre l’un et les autres est magistralement inaugurée par une chasse routière anxiogène qui nous rappelle le "Duel" de Spielberg (1971).

Entre paysages crépusculaires et arides, le film cloisonne ceux qui le hantent. Les rencontres se font dans des baraquements de tôle et de ferraille ou dans des ruines d’un monde qui n’est plus et dans lequel Éric n’espère plus rien.

Mais n’y en-a-t-il pas un autre qui lui s’est mis à croire, non plus en Dieu (certaines images christiques pointent pour exhiber leur symbole macabre) mais en sa propre vindicte. Le précédent film de David Michôd mettait déjà ses personnages face à leurs responsabilités et aux choix qu’ils devaient subir ou affronter, "The Rover" poursuit ces thématiques en les poussant vers le dépouillement d’un décor qui est aussi celui de la sécheresse de cœurs endurcis.

La route mènera Éric et Rey vers une destination intérieure nouvelle ou oubliée aux conséquences opposées qui repose la question de l’humanité face à son animalité.

source : le plus nouvelobs

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